Le paysage médiatique traverse une nouvelle zone de turbulence. Cette fois, l’enjeu ne tient pas seulement à l’économie du secteur : il touche à la crédibilité même de l’information.

Depuis un an, plusieurs rédactions ont fermé, des titres reconnus ont disparu et des journalistes ont quitté un métier qu’ils exerçaient par conviction. La fermeture de l’antenne européenne de TechCrunch, qui a entraîné le départ de figures historiques, ou les licenciements dans de grands groupes de presse, envoient un signal clair : l’écosystème se fragilise.

Dans le même temps, un autre basculement s’opère. L’intelligence artificielle ne se contente plus d’assister les rédacteurs, elle produit désormais des articles. Et c’est là que la crise change de nature.

Des articles sans journalistes ?

Certains « médias » publient déjà des contenus entièrement générés par IA, avec de fausses citations, de prétendus experts et des données inventées. Le plus inquiétant, c’est que ces textes paraissent plausibles. Trop plausibles.

En France, l’enquête du journaliste Jean-Marc Manach pour Next a montré que plus d’un millier de sites francophones diffusent régulièrement des contenus produits ou traduits automatiquement, sans intervention humaine. Leur apparence est trompeuse : ils donnent le sentiment d’être sérieux, mais laissent parfois échapper des indices absurdes de leur origine artificielle, comme ce surprenant « est-ce que cette réponse vous convient ? ».

Next a révélé que plus d’un millier de sites d’actualité francophones diffusent déjà de tels contenus, traduits ou produits automatiquement par des IA, sans supervision humaine. Leur apparence sérieuse masque une fabrication mécanique, parfois trahie par des détails absurdes, comme ce surprenant « est-ce que cette réponse vous convient ? », vestige d’une conversation avec un chatbot.

Le danger est limpide : si les IA continuent de se nourrir de contenus générés par d’autres IA, une spirale de dégradation s’enclenche. Les erreurs se répètent, le contexte disparaît, la vérité se dilue. Et lorsque ces modèles biaisés servent à informer, à guider des choix ou à façonner des réputations, les dérives deviennent inévitables. D’autant que près d’un Français sur trois déclare utiliser l’IA pour ses recherches quotidiennes, et que 15 % des moins de 25 ans l’emploient déjà comme source d’information régulière.

Un enjeu majeur pour la réputation des marques

Ce débat ne se limite pas au journalisme : il engage directement la réputation des organisations.

Désormais, l’information sur une entreprise, ses dirigeants ou ses valeurs ne provient plus seulement des médias traditionnels. On la retrouve dans des résumés automatiques, dans des articles de synthèse générés par IA, ou dans les réponses de chatbots utilisés par des millions de personnes. Le risque est évident : ces contenus peuvent déformer un message, altérer une image, et, une fois diffusés, il devient extrêmement difficile de rétablir la vérité.

Un cas récent en Norvège illustre cette menace. Un utilisateur a découvert que ChatGPT l’accusait à tort d’un infanticide, en mêlant à ce récit entièrement inventé des éléments personnels bien réels : sa ville d’origine, ses enfants, son parcours. Présentée avec assurance, comme un fait établi, cette fausse information a eu des conséquences lourdes sur sa réputation. L’affaire a conduit l’ONG noyb à déposer une plainte auprès de Datatilsynet, l’autorité norvégienne de protection des données.

Pourquoi les médias, et les journalistes, restent essentiels

Il ne s’agit pas ici de céder au catastrophisme, mais d’appeler à la lucidité. Les médias n’ont pas perdu leur pertinence ; au contraire, leur rôle est crucial.

Car malgré la puissance de l’IA, il lui manque une faculté essentielle : le discernement. Une machine n’interroge pas les certitudes, ne confronte pas les points de vue, ne débusque pas les manipulations. Les journalistes, eux, savent le faire. Ils restent nos vigies collectives, garants de la vérification, de la nuance et de la confiance. Sans ce contrepoids, l’information risquerait de se réduire à un flux automatisé, sans filtre ni contradiction.

Avancer avec discernement

Il ne s’agit pas de freiner l’innovation. L’IA ouvre des perspectives considérables, qu’il serait absurde de nier. Mais il est urgent d’éviter la fascination aveugle.

Nous devons apprendre à l’aborder avec esprit critique. Cela suppose de développer des systèmes qui privilégient les sources fiables plutôt que les contenus les plus visibles. Et, surtout, de réinvestir dans le journalisme, pierre angulaire de l’espace public.

En somme, à l’ère de l’IA générative, ignorer le rôle des médias serait une erreur stratégique. Si nous voulons continuer à évoluer dans un monde où la vérité conserve sa place, nous aurons besoin d’eux plus que jamais.